Le métier d’huissier existe depuis très longtemps et a évolué avec le temps en s’adaptant sans cesse à la société. L’huissier est vu aujourd’hui comme un juriste de confiance qui a la lourde charge d’exécuter les décisions de justice, de dresser des constats, de procéder à des recouvrements ou encore de signifier des actes… des missions qui nécessitent une confiance sans faille envers la personne qui les accomplit.
La révolution informatique qui a débuté vers les années 80 a également eu un impact sur le métier d’huissier. En effet, l’utilisation des nouvelles technologies a eu une répercussion sur les méthodes de travail de l’huissier avec une accélération des échanges ou une dématérialisation de certaines procédures.
Aujourd’hui on assiste au développement d’une nouvelle technologie qu’est la blockchain. Le développement de cette technologie et l’impact qu’elle aura sur le fonctionnement de notre société sont assimilés, par ses partisans, à celui du développement d’Internet. Bien que cette hypothèse soit assez osée, le potentiel de la blockchain n'en demeure pas moins élevé, surtout dans les domaines qui impliquent une sauvegarde ou un échange.
Le nombre de projets reposant sur la technologie de la blockchain augmente sans cesse. Bien que le fonctionnement de cette technologie soit encore peu clair pour beaucoup de monde, cela n’empêche pas d’y voir une technologie de confiance, sans faille.
La technologie de la blockchain, qui veut dire littéralement « chaîne de bloc », est utilisée pour désigner la technologie qui permet de stocker et de diffuser une information, une sorte de protocole de gestion de données numériques. On utilise également cette appellation pour désigner la base de données des programmes ou applications qui en font usage.
Les adeptes de la blockchain soutiennent que la technologie est transparente car chacun peut consulter l’ensemble des échanges, présents et passés ; qu’elle est sans organe de contrôle ni tiers de confiance car fondée sur des échanges de pair-à-pair (chaque internaute pouvant être serveur et receveur d’un autre internaute); et qu’elle est infalsifiable et sécurisée car l’information est inscrite dans un bloc puis distribuée simultanément sur différents ordinateurs (appelés nœuds du réseau).
Comment fonctionne une blockchain ?
Le potentiel succès de la blockchain réside dans son caractère infalsifiable. Cette affirmation des partisans de la blockchain repose sur son mode de fonctionnement.
Pour inscrire une information sur la blockchain il y a plusieurs étapes :
1. Au départ, plusieurs informations sont inscrites dans un bloc numérique dématérialisé. L’inscription est effectuée par divers utilisateurs avec l’utilisation de clé publique et privée.
2. Une fois qu’un bloc recueille un certain nombre d’informations, il est contrôlé et validé par des mineurs [1]
– ces derniers mettent à disposition la force de calcul de leurs ordinateurs afin que ceux-ci résolvent un problème algorithmique.
3. Une fois que le bloc est validé, il est ajouté à la suite des blocs formant ainsi une chaîne de blocs (« blockchain »). L’information est horodatée et finalisée, de sorte que le bloc introduit dans la chaîne ne peut plus être modifié ou effacé, ce qui vaut également pour les informations qu’il contient. Pour annuler une transaction ou opération, il est nécessaire d’inscrire de nouveau une information dans un nouveau bloc.
[1] Les mineurs sont des utilisateurs de la blockchain dont le rôle est de valider les transactions qui circulent à l’intérieur.
La blockchain peut-elle remplacer le tiers de confiance ?
Avec la blockchain, la confiance se déplace de l’être humain vers des programmes informatiques et des lignes de code. Le but étant de se passer des tiers de confiance qui, selon les partisans de la blockchain, sont onéreux et opaques. Cette vision est assez réductrice du tiers de confiance qu’est par exemple l’huissier de justice ou le notaire. En effet, le tiers de confiance qui a le pouvoir d’établir des actes authentiques a également des devoirs vis-à-vis des personnes concernées par l’acte authentique. L'officier public a un devoir de conseil et un devoir de vérification des propos tenus dans l’acte, sous peine d’engager sa responsabilité: c’est pour cette raison que l’acte authentique a une force probante. Le tiers de confiance s’assure que l’accord est libre, éclairé et complet, en informant les parties sur l’étendue ainsi que les conséquences de l’acte établi.
En contrepartie des devoirs et des responsabilités, l’officier public reçoit de la part de l’Etat le pouvoir de donner la force exécutoire à certains actes ou décisions. Ce système permet de maintenir un certain ordre dans la société et offre une garantie aux citoyens. Remplacer le tiers de confiance par des systèmes informatiques serait remettre en question ces principes et par conséquent la sécurité juridique.
Néanmoins, abandonner totalement l’utilisation de la blockchain n’est pas non plus une solution. La blockchain est une technologie qui pourrait assurer certaines caractéristiques de l’acte authentique comme la date certaine, la garantie de l’intégrité de son contenu ou encore l’origine de l’acte. Ainsi, la blockchain pourrait être un outil très intéressant pour les tiers de confiance. Ces derniers pourraient avoir accès à un outil qui faciliterait la gestion, la coordination ou encore le traitement des actes.
Quel avenir pour la blockchain ?
La combinaison du tiers de confiance avec la nouvelle technologie qu’est la blockchain pourrait être la solution pour permettre d’apporter plus de transparence, plus de lisibilité au système tout en sauvegardant la sécurité juridique apportée par les tiers. Le certificat Blockchain serait une preuve de la propriété intellectuelle sans force probante et seul un tiers de confiance comme l’Huissier de Justice pourrait apporter la force probante à ce type de preuve. Le tiers de confiance ajoute de la confiance à la technologie[2].
De plus se pose la question de l’application du RGPD à la blockchain. Avec de nombreuses interrogations quant à sa compatibilité, notamment le droit d’effacement et de conservation limitée des données, la détermination du responsable de traitement, le transfert uniquement dans les pays tiers ayant un niveau de protection adéquat, le droit de rectification des données...
Bien que contraire à la conception initiale de la blockchain qui consistait à augmenter le nombre de mineurs indépendants pour diminuer le risque d’altération des données, la blockchain privée, dans les mains des tiers de confiance, pourrait être un véritable outil de travail efficace, rapide et sécurisé et de plus, conforme aux dispositions du RGPD.
[2] Olivier COUSI, lors de la conférence du 9 avril 2018 à la maison du barreau
Des types particuliers de blockchain permettent de mettre en place un système de permission qui autorise certaines personnes à effectuer des tâches définies . Il est possible d’autoriser un groupe restreint de personnes à consulter les informations ou à écrire. L’accès à la blockchain est ainsi géré par une autorité qui dispose d’un pouvoir de contrôle sur la blockchain. On pourrait envisager une blockchain modelée par les huissiers, respectant toutes les normes réglementaires, permettant de fluidifier certaines tâches de sauvegarde ou de conservation.
Il est aujourd’hui évident que la blockchain aura un impact sur le fonctionnement des échanges, des sauvegardes ou encore de la gestion des données. Elle présente des qualités intéressantes tout comme des lacunes. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est pas en mesure de remplacer à l’heure actuelle le tiers de confiance qu’est l’huissier de justice ou le notaire. Néanmoins ces derniers doivent appréhender cette nouvelle technologie qui pourrait leur permettre d’évoluer dans un environnement numérique en permanente mutation.