Avec les nouvelles technologies et fonctionnalités proposées sur nos smartphones, il est aujourd’hui particulièrement aisé d’enregistrer une conversation à l’insu de son ou de ses interlocuteurs. Selon la situation litigieuse, une personne peut naturellement vouloir obtenir un élément de preuve, en enregistrant des propos litigieux.
L’intention première n’est certes pas de porter atteinte à la vie privée de l’interlocuteur, mais d’avoir en sa possession un élément de preuve pour faire valoir ses droits. Cependant, ce mode de preuve fait l’objet de vifs débats, voici pourquoi…
Que dit la loi ?
En matière civile, sociale ou commerciale, la retranscription d’un enregistrement vidéo ou audio effectué à l’insu d’un tiers n’est pas possible. Ce mode de preuve est en effet considéré par les juges comme un procédé déloyal et est donc systématiquement écarté des débats. Cette appréciation du caractère déloyal de l’enregistrement audio ou vidéo est notamment fondée sur l’application de l’article 9 du Code de procédure civile qui dispose que « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».
La situation est en revanche plus souple en matière pénale, puisque l’article 427 du Code de procédure pénale prévoit que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve ».
Non seulement le procédé s’avère donc déloyal, mais il expose de surcroît son auteur à une condamnation pénale. L’article 226-1 du Code pénal prévoit ainsi une sanction assez forte pour ce type de comportement en son alinéa 1er :
« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
3° En captant, enregistrant ou transmettant, par quelque moyen que ce soit, la localisation en temps réel ou en différé d’une personne sans le consentement de celle-ci. »
Au-delà de voir rejeter en justice un élément de preuve obtenu de manière déloyale, tout justiciable peut donc être lui-même poursuivi pour cet acte. C’est la raison pour laquelle de nombreux opérateurs commerciaux débutent toute conversation téléphonique par une information claire sur l’enregistrement des échanges.
Quels sont les modes d’enregistrement considérés comme déloyaux ?
Les modes de preuve qui sont généralement considérés comme déloyaux sont ceux qui sont captés à l’insu de la personne enregistrée, ou au moyen d’un stratagème.
Il peut donc s’agir par exemple :
• d’un enregistrement sonore d’une conversation avec un smartphone dissimulé dans un sac ou même posé sur la table ;
• d’un enregistrement vidéo d’une caméra de surveillance cachée.
La déloyauté de ces modes de preuves est caractérisée par deux éléments : non seulement la personne enregistrée n’en a pas connaissance, mais encore elle n’y a pas expressément consenti.
Quels sont les types d’enregistrement recevables en justice ?
La jurisprudence a été amenée à se prononcer positivement sur la recevabilité de certains types d’enregistrement à plusieurs reprises. Il s’agit principalement des preuves qui, de par leur nature, garantissent que la personne concernée sait qu’elles sont enregistrées.
Il s’agit notamment :
• des messages écrits de type SMS/MMS, d’un mail ou d’échanges texte / vidéo / image / son sur une messagerie instantanée (WhatsApp, Signal, Telegram, Messenger…) ou un réseau social (Facebook, Instagram, Twitter…). Les données du fichier transmis sont conservées sur leur support et peuvent notamment faire l’objet d’un constat d’huissier ;
• d’un message vocal enregistré sur la messagerie téléphonique de la personne qui peut procéder librement à sa retranscription ;
• d’une conversation audio comportant dès le début des échanges une information claire et explicite concernant la réalisation de cet enregistrement (ex. : « je vous informe que cette conversation est susceptible d’être enregistrée »).
Dans tous les cas, la personne apportant un enregistrement audio ou vidéo comme élément de preuve lors d’un procès doit être en mesure de prouver la connaissance et le consentement de cet enregistrement par la ou les autres personnes enregistrées.
Un juge peut-il néanmoins accepter un enregistrement non connu de l’interlocuteur comme mode de preuve ?
Un arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2020, 17-19.523, publié au bulletin) est venu mettre un pavé dans la marre en fragilisant l’interprétation relativement stricte de la jurisprudence concernant la recevabilité d’un enregistrement effectué à l’insu de la personne concernée.
Avant cet arrêt, de nombreuses critiques dénonçaient la rigueur de la jurisprudence qui restreignait considérablement la production d’éléments de preuve dans certaines situations. En effet, une personne ayant connaissance de la réalisation d’un enregistrement veille généralement à ne pas dire et ne pas adopter de comportement compromettant. L’obtention d’un élément de preuve devient alors plus compliquée.
Avec cet arrêt de novembre 2020, la jurisprudence évolue de façon considérable en intégrant dans le contrôle de loyauté de la preuve un nouveau critère, celui de la proportionnalité. Cet arrêt énonce en effet que : « l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.»
Cet arrêt vient donc tempérer considérablement le rejet des enregistrements effectués à l’insu de la personne enregistrée. Ce rejet n’est donc plus automatique. Le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation et de contrôle de la proportionnalité de la preuve, notamment lorsque le plaignant justifie d’une impossibilité de prouver autrement son préjudice.